Nouvelles images des sciences

Qu’est-ce que la science?

  • La science est recherche de vérité, volonté de dire les choses telles qu’elles sont, désir d’objectivité.
  • La science est logique et cohérente, au-dessus des opinions.
  • La science est discours sur elle-même, incarnation d’un Bien. La science est mise en scène, représentation.
  • La science est invention, créativité, et technique; production d’instruments et de nouveaux êtres, intégration dans des systèmes industriels.
  • Elle est quête de contrôle sur le monde (homme occidental qui veut contrôler à l’époque), mode de classifier le monde naturel et humain.
  • La science est source de progrès, mais aussi de leurs dégâts et de solutions à ces dégâts.
  • La science est une institution historiquement liée aux pouvoirs politiques et économiques divers.
  • Elle est le système de savoir des sociétés modernes, source de légitimité, fondement pour l’action.
  • Elle est arbitre dans les controverses publiques de la main d’experts et de contre-experts.

Oublier la science : penser la variété des pratiques scientifiques en société et dans l’histoire

  • La science n’a pas d’identité intrinsèque. Elle n’est pas une chose dont on pourrait dire l’essence, tout autant comme la société n’est pas non plus une chose dont nous pourrions dire ce qui la constitue et qui la fonde.
  • Science et société sont des composites qui prolifèrent sous différentes figures et alliances. Sciences et sociétés sont historiques, situées et se co-constituent.
    • On ne peut pas les considérer comme deux objets, la science d’une part, la société de l’autre, pour ensuite étudier leur rencontre, leur interaction.
      • Il convient au contraire de prendre les choses comme toujours déjà mélangées, d’emblée interpénétrées, toujours au pluriel.

Exemples

  • Les Grecs consultaient l’oracle pour savoir si aller à la guerre, parce que leur manière de chercher la vérité passait par la religion, les rites, la magie.
  • Aujourd’hui, avant de balancer un missile, on fait des calculs balistiques, on utilise des superordinateurs… mais c’est encore une façon humaine d’interroger la réalité et d’agir sur elle. Juste un autre arrangement technico-social.
  • Un autre exemple c’est la différence entre positivistes et constructivistes.

Les sciences sont donc abordées sous plusieurs angles

  • Comme un corpus de savoirs méthodiquement obtenus et validés, elles sont l’objet d’une analyse philosophique.
  • Vues sous l’angle de leurs transformations temporelles, les sciences ont bien sûr une histoire.
  • Considérées comme des pratiques sociales institutionnalisées, les sciences peuvent faire l’objet d’études sociologiques.
  • Les sciences ont une force politique qui a amené les politologues à s’interroger sur les rapports entre sciences et le pouvoir politique.
  • Quant à l’économie, elle s’est intéressée aux sciences dans leur rapport à l’invention et l’innovation, source de croissance.
  • La géographie, quant à elle, n’a pas manqué de penser le lien entre sciences et configurations spatiales et territoriales.
  • Enfin, toutes ces disciplines sont porteuses de réflexions sur elles-mêmes comme pratiques scientifiques.

De la philosophie à la sociologie en passant par l’histoire : la rupture kuhnienne

  • Kuhn avance l’idée que l’histoire des sciences, bien conçue, pourrait contribuer à libérer les esprits de l’emprise et de la fascination d’une image de la science qui ne correspond pas à la pratique effective des scientifiques (on acumule pas des avancements comme disait Popper).
  • Il écrit : L’histoire, si l’on consentait à la considérer comme autre chose que le reliquaire de l’anecdote ou de la chronique, pourrait être à l’origine d’une transformation décisive de l’image de la science qui aujourd’hui nous possède.

Un renouveau dans l’étude des sciences

  • Post WW2 Critique des technosciences : Sciences, techniques et sociétés.
  • Les études des sciences (Science Studies), puis études sociales des sciences et des techniques (Science and Technology Studies).
  • Nouveaux programmes de recherche renouvellent le panorama dominé par l’épistémologie :
    • Au Royaume Uni, à Edimbourg: Programme fort de la Sociologie de la connaissance scientifique (SSK), et à Bath: Programme Empirique du Relativisme. Etude des controverses.
    • En France: Anthropologie des sciences, sociologie de l’innovation, Sociologie de l’acteur-réseau.

L’école d’Edimbourg et le programme fort

  • École de Edimbourg : Programme Fort de la sociologie de la connaissance scientifique fondé sur la philosophie de Wittgensteintravaux pionniers de Bloor (1976).
  • Méthode : des principes heuristiques contre l’histoire jugée et le sens commun dans l’étude de la pratique scientifique dans l’histoire et dans le présent.
  • Il s’agit d’expliquer les conditions, les causes, qui expliquent les étants de connaissance, les croyances vraies et les croyances fausses, de manière agnostique à l’égard des vérités, pour faire la lumière sur la variété de mécanismes en jeu.

À quelle aune penser la scientificité des sciences sociales?

  • Pour certaines personnes en sciences sociales, les sciences de la nature constituent le modèle de ce qu’ils cherchent à réaliser. C’est généralement la physique qui est prise comme modèle
  • Si l’on veut se rapprocher des sciences de la nature, il faut observer de près ce qu’elles font. Il faut renoncer à tout fantasme et s’informer des activités quotidiennes des scientifiques, telles que les sociologues des sciences les observent à la loupe.
  • Deux descriptions détaillées de pratiques scientifiques nous donnent une image plus réaliste de ce que les scientifiques font effectivement, pour nous montrer ce que nous essayons d’approcher.

Les objets des sciences de la nature et ceux des sciences de la société

  • Les objets des sciences sociales présentent des problèmes différents de ceux des sciences de la nature. Celles-ci diffèrent aussi entre elles.
  • Les cosmologues n’ont pas les mêmes problèmes que les géologues ou les botanistes. Leurs matériaux de base — étoiles, roches, plantes — ne sont pas identiquement accessibles.
  • Les instruments de collecte de données sont donc différents et, de ce fait, ne présentent pas les mêmes problèmes de mise en œuvre et d’exactitude.
  • Mais tous s’efforcent de trouver le meilleur moyen possible d’observer, de compter et de mesurer les objets qu’ils étudient à travers l’expérimentation.

Les analyses de controverses scientifiques

  • École de Bath : Programme Empirique du Relativisme (EPOR), travaux d’Harry Collins, Travor Pinch, Andrew Pickering.
  • Objet : la production négociée des faits scientifiques (actes matériels, savoirs tacites, savoirs incorporés, instruments et expérimentation, procédures de validation locales).
  • Démarche : microsociologie (étrangeté), études de cas, démonstration empirique la science telle qu’elle se fait.
  • Problématique : pourquoi et comment émerge le consensus par-delà la diversité et la malléabilité des propositions initiales? Les faits ne permettent pas de départager des théories concurrentes.
  • Objet : polémique scientifique ou technique ouverte. Pas de grands débats idéologiques, mais des débats sur des faits et des expériences.
  • Démarche : études de cas, observation, ethnométhodologie (sans grille/théorie) (Garfinkel); agnosticisme; contre l’histoire jugée; pas de questionnements macro-sociaux (patriarcat, etc…).

Principes de méthode pour une analyse

  • Causale : S’intéresser aux conditions qui engendrent la croyance ou les états de connaissance.
  • Impartiale : en ce qui concerne la vérité et la fausseté, la rationalité ou l’irrationalité, le succès ou l’échec. Les deux côtés de ces dichotomies devront être expliqués.
  • Symétrique, dans style d’explication. Les mêmes types de causes expliqueraient, par exemple, les croyances vraies et fausses. Idéologie vs raison.

De nouveaux regards sur la démarche scientifique

  • Deux exemples en sciences de la nature :
    • Les ondes gravitationnelles : construire un détecteur de quelque chose dont on suppose l’existence ?
    • L’évolution du sol amazonien : la frontière entre la savane et le foret, vers où va-t-elle ?
  • Comment ces exemples nous permettent penser la triade : données, preuves, théories (ou idées)?

Exemple 1 : Les ondes gravitationnelles

  • Harry Collins et Trevor Pinch. The Golem : What you should know about science (Cambridge University Press).
La détection des ondes gravitationnelles en trois temps
  • En 1969, le professeur Joseph Weber de l’Université du Maryland affirma avoir détecté un intense rayonnement gravitationnel en provenance de l’espace. Il avait utilisé un nouveau détecteur conçu par lui-même. Dans les années qui suivirent, les chercheurs tentèrent de vérifier ses affirmations. Aucun n’y parvint.
  • En 1975, rares étaient les scientifiques à croire ce que Weber prétendait. Mais, quoi qu’il semble maintenant, la théorie et la reproduction de l’expérience n’ont pu à elles seules trancher la question de l’existence du rayonnement gravitationnel.
Les ondes gravitationnelles
  • La théorie de la relativité générale d’Einstein implique que les corps en mouvement produisent des ondes gravitation.
  • Personne n’a encore proposé, par exemple, le moyen de produire sur Terre un rayonnement gravitationnel suffisamment important pour être détecté.
  • Or d’énormes quantités d’énergie produites par les événements cataclysmiques ayant lieu dans l’univers doit se dissiper sous forme de rayonnement gravitationnel et qui devrait être détectable sur Terre.
  • Cela produit de légères oscillations de la valeur de G — la constante liée à la force d’attraction d’un objet sur un autre. Il est cependant déjà assez difficile de mesurer G elle-même.
L’antenne de Weber
  • Une antenne de Weber est constituée du lourd cylindre métallique et d’un ensemble de dispositifs transducteurs permettant de mesurer ses vibrations.
  • On utilise des cristaux piézo-électriques sensibles à la déformation, collés ou fixés d’une manière quelconque au cylindre.
  • Lorsque ces cristaux sont déformés, ils produisent un potentiel électrique. Le potentiel produit par la déformation subie par les cristaux est si infime qu’il est presque indétectable.
  • Pour le mesurer, il convient donc de l’amplifier. L’amplificateur de signaux est par conséquent un élément essentiel du dispositif.
  • Une fois amplifiés, ceux-ci peuvent être enregistrés graphiquement par un oscillographe ou mis en mémoire par un ordinateur pour être analysés.
Les conditions matérielles de l’expérience : le bruit et le signal
  • Comment faire la distinction entre les vibrations dues au rayonnement gravitationnel et celles produites par d’autres forces?
  • Le cylindre doit être protégé de toutes les autres perturbations d’origine électrique, magnétique, thermique, acoustique, sismique ou autre. Weber essaya d’y parvenir en suspendant le cylindre par un fil fin à l’intérieur d’une chambre à vide métallique. L’ensemble était isolé du sol de manière originale et efficace par un empilage de feuilles de plomb et de caoutchouc.
  • En physique, on ne s’attend pas à ce que les résultats diffèrent à cause du lieu de l’expérimentation. Du moins en principe. En pratique, les lieux spécifiques où les physiciens conduisent leurs expériences présentent des caractéristiques particulières susceptibles d’avoir d’importants effets sur les quantités observées et mesurées. Il ne s’agit pas d’observer ces phénomènes, mais de les empêcher.
  • Tant qu’il est à une température supérieure au zéro absolu, il se produira des vibrations dues aux mouvements aléatoires de ses propres atomes ; les témoins de déformation enregistreront donc une émission continue de bruit de fond thermique.
  • Une onde de gravitation devrait apparaître sous forme d’un pic particulièrement haut, mais il est nécessaire de définir le seuil au-delà duquel un pic doit être considéré comme représentatif d’une onde de gravitation et non plus du bruit de fond indésirable.
  • Il convient d’estimer le nombre de pics accidentels provoqués par le bruit seul, puis de s’assurer que le nombre total de pics dépassant le seuil est supérieur à celui-là.
  • En 1969, Weber affirma qu’il détectait quelque sept pics par jour qui ne pouvaient être imputés au seul bruit de fond.
Persuader les autres
  • Persuader les autres scientifiques d’essayer d’en démontrer la fausseté est un premier pas utile.
  • Un rayonnement beaucoup trop fort : Weber se trompe.
  • Mais une corrélation sidérale : une source extraterrestre de rayonnement. Weber réussit à ce qu’on prenne ses travaux plus au sérieux et d’autres laboratoires tentèrent de retrouver ses résultats. L’un des faits nouveaux les plus probants était que les pics supérieurs au seuil étaient signalés simultanément par deux ou plusieurs détecteurs situés à des milliers de kilomètres les uns des autres. Tout portait à croire que la source de rayonnement se trouvait à l’extérieur du système solaire. Cet effet fut baptisé corrélation sidérale : on voulait dire par là que le maximum d’activité du détecteur était lié aux rapports de la Terre avec les étoiles et non avec le Soleil.

À quoi aboutit la régression de l’expérimentateur?

Commentaires sur l’expérience réalisée à W :

  • Chercheur (a) : c’est pourquoi le matériel qu’ils ont à W, malgré toute sa complexité, possède certaines caractéristiques qui, s’ils détectent quelque chose, leur permet d’être plus crédibles. On voit qu’ils l’ont vraiment pensé.
  • Chercheur (b) : Ils espèrent obtenir une grande sensibilité, mais, franchement, je ne les crois pas. Il y a des méthodes plus subtiles que la force brute.
  • Chercheur (c): Je pense que ceux de W ont perdu la tête.

L’éclatement des évaluations réciproques : Les chercheurs ne s’accordent pas sur ce qui compte comme preuve, ni sur qui mérite d’être cru.

Commentaires sur l’expérience réalisée à X.

  • Chercheur (A) : il travaille dans un tout petit labo, mais j’ai examiné ses résultats, et il est certain qu’il en a d’intéressants.
  • Chercheur (B) : Je ne suis pas vraimeint impressionné par ses capacités et j’ai plus de doutes sur tout ce qui vient de lui que sur ce que font les autres.
  • Chercheur (C) : Cette expérience, c’est de la m****!

Et bcp d’autres exemples, bref on pige l’idée.

Critères externes à la technique mobilisés pour trancher

La nature ne s’exprime pas toute seule.

Les études ethnographiques de laboratoire

  • Travaux de Bruno Latour et Steve Woolgar (1978), Karin Knorr-Cetina (1981), Mike Lynch (1983).
  • Ni étude des controverses scientifiques, ni l’étude des cosmogonies, ni explication sociale des sciences (vs. Fonctionalisme, rejet de la notion d’intérêt).
  • Sans événement, sans diachronie, sans intentionnalité, sans récit : ces études montrent un regard étranger sur les pratiques.

Les dynamiques de science en société : sociologie de la traduction

  • L’École des mines (Paris) : Les travaux de Latour (1983, 1984) et Callon (1981). La sociologie de la traduction.
  • Objet : la co-construction simultanée des sciences, techniques et sociétés. Les sciences inventent et imposent un ordre; ses énoncés sont toujours portés, usés, traduits par des acteurs.
  • Méthode : suivre les acteurs dans leur trajectoire essayant de convaincre, intéresser, contraindre les autres.

Exemple 2 : la frontière entre la savane et la forêt

Le sablier de Latour.ou Les sciences sont autonomes mais s’appuient l’une sur l’autre, ici les scientifiques étudient une carte pour mener leur recherche dans la foret amazonienne. Ils peuvent aussi extraire des échantillons et les classifier (chose essentielle pour toute science : mettre ensemble ce que l’on considère similairepartage suffisamment de caractéristiques). L’objectif c’est laboratoriser le terrain, le faire lisible et contrôler certaines variables progresser vers la traduction. Ici on cartographie le type de sol par endroit dans une espèce de charte. Comme ça on sait : La savane dévore la forêt ou vice versa? Cela jusqu’à qu’on arrive à ce diagramme, qu’on aie traduit. Pour être objectifs, des techniques d’objectivation comme l’utilisation de mesures acceptées et utilisés auparavant sont utilisées. Ici on voit le code Munsell. Pour publier, on purifieélimination des hésitations. Ceci peut créer une image fausse de la science. En sciences sociales on ne fait pas que collecter des données, on raconte et on décrit. Bien sûr il y a des méthodes quantitatives, mais pas seulement.

Donc?

Une fois publié tout devient une boite noire. Ça devient un fait. Ce qu’on l’on fait dans un papier c’est tracer un réseau entre énoncés et travaux pour nous y appuyer dessus. Cette médiation (coupure), que l’on fait entre résultat (graphe) et objet d’étude (forêt et savane), nécessite d’une mobilisation de ces réseaux et d’un contrôle de qualité qu’on doit faire nous mêmes et pas l’IA générative.

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