La libération de l’Europe Est-centrale

Introduction

Pendant le processus de détente Est-Ouest (1972-1990) en Europe la dissidence s’accroît dans les pays de l’Est, et l’Occident réussi à obliger les pays communistes à faire face à des critiques sévères de non-respect des droits de l’homme.

Chronologie

  • 1972-1975 : Le processus d’Helsinki vise à Européaniser la détente Est-Ouest (à la place des détentes bilatérales USA-URSS, RFA-URSS), il culmine dans l’adoption de l’Acte final d’Helsinki en 1975, par les Etats d’Europe de l’Est et de l’Ouest, Canada et les USA.
  • 1976-1985 : Détérioration des relations Est-Ouest suite au réarmement nucléaire par l’URSS et due à l’affrontement entre Ouest et Est sur le respect des droits de l’homme (= crise de la détente).
  • 1986-1991 : Fin de la Guerre froide, effondrement des régimes communistes et transition des systèmes répressifs en Europe de l’Est vers la démocratie et l’économie de marché.

Le processus d’Helsinki

Sont adoptés dans l’Acte final d’Helsinki (août 1975) par les Etats de l’Est comme de l’Ouest, entre autre, les principes suivants :

  • Le respect des droits de l’homme, y compris :
    • La liberté de conscience, d’opinion, et de religion.
    • La liberté de voyage (y compris d’émigration).
    • La liberté d’information (de s’informer et d’informer autrui).
    • Le liberté d’établir des institutions culturelles et la permission pour tout individu de les fréquenter.
  • Le principe de non-ingérence dans les affaires intérieures :
    • Se prête à des interprétations diverses.
  • Des mesures humanitaires :
    • Des réunions familiales (visites à courte terme) entre Est et Ouest.
    • La conclusion des mariages à travers le rideau de fer.
    • Des réunions culturelles, scientifiques, religieuses entre Est et Ouest.
  • Des mesures de confiance.
  • Coopération économique et échange technologique.

L’adaptation de la stratégie face aux bloc soviétique par Amnesty International

  • Lors de l’Acte final (=Déclaration) d’Helsinki (août 1975) le bloc soviétique accepte en principe de respecter les droits de l’homme (Principe VII du décalogue) et s’oblige à faciliter des échanges humains entre Est et Ouest.
  • Nombre d’Etats du bloc de l’Est ratifient par la suite les Pactes des droits de l’homme de l’ONU (droits politiques et civils, droits économiques et sociaux).
  • Essor des mouvements des droits de l’homme à l’Est suite à l’acceptation de l’Acte final mobilise les gouvernements et ONG des droits de l’homme à l’Ouest.
  • AI développe plus de contactes à l’Est à partir de 1975 pour rassembler des informations sur les prisonniers politiques, leurs conditions de détention, et pour informer les médias occidentaux (monitoring).
  • AI établit des chapitres clandestins à l’Est, par exemple à Moscou.
  • AI offre ses informations lors des CSCE aux gouvernements occidentaux et propose d’entrer en dialogue avec les gouvernements de l’Est, ce que les derniers refusent au départ (lobbying pour les droits de l’homme).
  • AI se met en réseau avec d’autres ONG s’engageant pour le respect des droits de l’homme et intensifie ses activités en 1988/1989 (par exemple en RDA).

La naissance d’un réseaux de groupes Helsinki

  • Acte final d’Helsinki publié dans les journaux de l’Est.
  • Dissidents apprennent dans les médias occidentaux (BBC, Radio Free Europe, Radio Liberty) que l’Acte relie des concessions occidentales en matière du désarmement et de coopération économique à des progrès réels en matière des droits de l’homme.
    • Dissidents proposent de dynamiser le débat sur les droits de l’homme et de demander leur respect par leurs gouvernements.
    • Ils s’adressent à des acteurs occidentaux afin de les informer sur l’état de répression : ONG, médias, gouvernements.
    • Dissidents invoquent les normes comme si les gouvernements communistes les avaient sincèrement acceptées, ce qui met sous pression gouvernements communistes.
  • Prolifération, à l’Est comme à l’Ouest, des groupes exigeant le respect des droits de l’homme.
  • USA : Création, suite à l’encouragement par des dissidents et des exilés soviétiques, par le Congrès américain d’une Commission d’Helsinki (octobre 1975) qui surveille le suivi des d.h. par les pays de l’Est.
  • URSS : Création à Moscou (mai 1976), par des dissidents, d’un Groupe Helsinki autour de Yuri Orlev proposant de surveiller la mise en application des règles d’Helsinki en matière de d.h.
  • Groupes analogues fondés en Ukraine, Lettonie, Géorgie et Arménie.
  • Pologne : Création à Varsovie (1976), d’un Comité pour la défense des travailleurs, dû à l’arrestation des travailleurs suite aux manifestations anti-communistes, et de deux groupes pour la défense des droits de l’homme, l’un proche à l’église, l’autre plutôt à orientation syndicalisteMouvement pour la défense des droits humains et civils (mars 1977), et Comité de solidarité estudiantin (suite à l’assassinat d’un jeune activiste étudiant, Stanislas Pyjas, Krakovie, le 7 mai 1977); prise de position de l’église consolide l’opposition.
  • Tchécoslovaquie : Création à Prague, autour de Vaclav Havel, du mouvement Charte 77 (janvier 1977), qui propose de surveiller la mise en application des principes d’Helsinki et des droits fondamentaux garantis dans la constitution tchécoslovaque et par des pactes internationaux, elle veut conseiller le gouvernement mais ne se déclare pas ONG car cela exige l’autorisation préalable par l’Etat.
  • USA : Création par la Fondation Ford, d’Arthur Goldberg (négociateur en chef américain à Belgrade) et des activistes américains, du Helsinki Watch Committee USA (1978/9) comme ONG; elle vise à récolter des informations sur les violations des d.h. dans le bloc soviétique et à établir des relations avec dissidents, activistes.
  • Europe de l’Ouest : Création, dans de nombreux états d’Europe occidentale (NOR, R.-U., FR, RFA) des Groupes d’Helsinki Watch, puis mise en réseaux du Helsinki Network, formalisation de la coopération dans le cadre de la Fédération internationale des Groupes d’Helsinki Watch au début des années 1980, puis transformation en Human Rights Watch vers 1988, universalisation des activités vers la fin du communisme.

Essor du mouvement avec le temps et la mise en réseau

  • Rencontre secret entre dissidents soviétiques et délégation du Congrès américain (septembre 1975) sous couvert du chapitre d’AI à Moscou (Valentin Turchin).
  • URSS emprisonne dissident Mikhail Kazackov (physiciste) suite à sa demande d’un visa de voyage (fin 1975).
  • Mobilisation des intellectuels tchécoslovaques (Zdanek Mlynar, Jiri Hajek, Karel Kaplan) qui écrivent des lettres aux autorités et à l’Académie des sciences, proposant la tenue d’une conférence sur les conséquences d’Helsinki pour l’interprétation du Printemps de Prague, et demandant la libération de tous les prisonniers politiques, la protection de la liberté d’expression et de voyage, l’abolition de la censure et du monopole étatique d’information; Hajek éjecté de l’Académie.
  • Tchécoslovaquie ratifient les deux Pactes des droits de l’homme de l’ONU fin 1975, Pactes entrent en vigueur mars 1976.
  • Déc. 1975: 59 intellectuels polonais s’adressent au Sejm dans une lettre ouverte exigeant la mise en application des droits fondamentaux déjà inscrits dans la constitution: liberté de conscience et d’opinion, de religion, du travail et à l’éducation, liberté d’information.
  • Politbureau polonais décide au contraire d’ancrer l’amitié fraternel avec l’URSS dans la constitution, intellectuels publient un manifeste dénonçant la modification de la constitution comme contraire au principe de l’égalité souveraine des nations confirmée par Accords d’Helsinki.
  • À Cracovie, Cardinal Karol Wojtyla (futur Pape Jean Paul II) déclare que le communisme est en contradiction avec la dignité et les droits humains et les droits des nations.
  • Assemblée de la jeunesse et des étudiants européens à Varsovie en Juin 1976, 1.500 participants de l’Est et de l’Ouest, discutent entre autre la surveillance des principes d’Helsinki.
  • Tenue d’une conférence des églises européennes à Berlin-Est en Octobre 1975, discours sur l’Acte final et ses conséquences pour les églises, églises demandent un avenir meilleur pour les pays de l’Est.
  • Congrégations discutent les principes d’Helsinki dans les églises, contribuent à leur diffusion.
  • En août 1976 un prêtre est-allemand se met à feu pour protester contre l’absence de liberté religieuse.
  • Réunion des partis communistes de l’Europe (y compris «Eurocommunistes», juin 1976 à Berlin-Est, accueillent de manière favorable les Accords de Helsinki et la mise en vigueur des Pactes pour les droits de l’homme; PC de l’URSS n’avait pas le courage de bloquer résolution.
  • RFA: demandes de visa de voyage et d’émigration explosent suite à Helsinki (de 12.000 à 100.000 en une seule année).

Belgrade

  • Avec la conférence de Belgrade (1977-1978) commencent les condamnations publiques des pratiques communistes par le Gouvernement américain (Jimmy Carter).
  • ONG occidentaux condamnent l’arrestation d’Alexandr Ginzburg (janv. 1977), membre du Groupe Helsinki à Moscou.
  • Andreï Sakharov (physicien nucléaire, Prix Nobel pour la paix 1975, inventeur de la bombe H soviétique avec Igor Tamm, prix Nobel de physique 1958) encourage Prés. Carter de protester contre violations des droits de l’homme, publie lettre ouverte dans le International Herald Tribune dénonçant l’URSS.
  • USA condamnent aussi l’intimidation et l’arrestation des membres de la Charte 77 (Vaclav Havel, Jiri Hajek); Jan Patocka, professeur, meurt suite à une crise cardiaque après arrestation; Charte 77 cherchait coopération, pas affrontement avec gouvernement.
  • En Tchécoslovaquie se forme, face aux arrestations, en 1978 le Comité pour la défense des personnes arrêtées à tort, il s’occupe du monitoring et publie des communiqués, il continue ses activités malgré l’emprisonnement des cinq dirigeants.
  • Arthur Goldberg, négociateur américain lors de la conférence de Belgrade, demande au Comité Helsinki du Congrès américain de soutenir les activistes à l’Est et propose fondation du Helsinki Watch Committee comme ONG américain, buts:
    • Monitoring, collecte et diffusion d’informations.
    • Soutien aux dissidents et activistes.
    • Maintenir l’intérêt et le soutien du gouvernement américain.
    • Contrairement à AI, Helsinki Watch est une ONG partisane dans la Guerre froide.
  • Dissidents Ginzburg et Anatoly Scharansky condamnés pour trahison, Carter adopte des sanctions économiques contre l’URSS.

1977-1985 Ère de répression accrue face à l’essor des dissidents

  • Sommet des protestations arrive avec l’essor du syndicat-mouvement «Solidarité» (Solidarnosc) en Pologne, 1979-1981, après plus qu’une année de protestations majeures, Solidarité est interdite, ses membres clés sont arrêtés et emprisonnés, loi martiale déclarée.
  • En URSS, 500 dissidents sont arrêtés entre le début et la fin de la conférence (CSCE) de Madrid (Nov. 1980-1983), nombreux sont ceux forcés à l’exile, Moscou Groupe d’Helsinki dissout sept. 1982.

Action des ONG et effets

  • Les groupes Helsinki transmettent toutes les informations récoltées aux gouvernements occidentaux où elles sont mobilisées pendant les CSCE (Madrid, Berne, Vienne).
  • La plupart des dissidents arrêtés est libérée avant le terme de leur période d’emprisonnement à cause des pressions internes et externes.
  • Les dissidents et activistes des droits de l’homme avaient durablement affectés la pensée d’une partie de l’élite politique des pays communistes. Ce groupe de leaders pensait que la répression sape la légitimité du système communiste et produit constamment des dissidents. Il cherchait, à partir de 1986, une sortie de la crise du système communiste en se reliant davantage aux valeurs «européennes» auxquelles font référence l’Acte final d’Helsinki et les discours des politiciens Ouest-Européens.

La transformation de l’URSS sous Gorbachev

  • Arrivée du «réformateur» Mikhail Gorbachev (printemps 1986) à la présidence du Politbureau permet la transformation de l’URSS.
  • Gorbatchev avaient des contactes amicaux avec le dissident tchécoslovaque Zdenek Mlynar, membre de Charte 77, et prenait ses distances par rapport à la suppression du Printemps de Prague de 1968.
  • Pays occidentaux et neutres réclament que toute «normalisation» des relations Est-Ouest dépendait de l’amélioration du respect des droits de l’homme dans les pays de l’Est, dissidents continuent leur campagne.
  • Juste avant le début de la CSCE de Vienne (1986-1989), Gorbatchev libère 240 prisonniers politiques.
  • Fin 1986, G. annonce libération du dissident Andrei Sakharov et permet son retour à Moscou, Sakharov demande toute suite libération de tous les prisonniers politiques.
  • MAE Edvard Chevardnadze propose tenue d’une conférence sur les droits de l’homme à Moscou.
  • URSS permet visite de la Fédération int’le des groupes d’Helsinki pour les droits de l’homme (janv. 1988).
  • URSS libère > 600 prisonniers politiques en 1987-1988.
  • Fin 1988, il n’en restent «que» 140 prisonniers politiques, selon AI, moins selon gouvernement soviétique.
  • Mai 1988 débute la démocratisation de l’URSS, avec la fondation du parti «Union démocratique», monopôle du parti communiste terminé.
  • L’Occident ne lâche pas la pression, prés. américain Ronald Reagan demande d’autres réformes en matière des droits de l’homme, y compris liberté de voyage et d’information et formation des groupes soviéto- américain conjoints pour travailler sur les violations des droits de l’homme en URSS. Il demande aussi le démantèlement du mur de Berlin.
  • Les réformes continuent de manière chaotique jusqu’à l’effondrement de l’URSS en 1991.

La fin du communisme en Europe est-centrale

  • Pressions externes, internes, demi-réformes des partis communistes et le déclin de l’économie démantèlent la légitimité des régimes et sapent la cohésion interne du bloc communiste.
  • Normes et principes du processus de Helsinki étaient des points de référence et des leviers pour les dissidents afin de revendiquer des changements radicaux.
  • En Pologne, malgré l’instauration du droit martial l’opposition n’est pas entièrement effacée. Les groupes de Helsinki émanant du Comité de la défense des travailleurs et les églises jouent en rôle actif en surveillant les violations des droits de l’homme par le régime du Général Jaruzelski.
    • Délégitimé par la crise économique, le gouvernement polonais rétablit des contacts formels avec le syndicat libre «Solidarité» en 1988, établit une «table ronde» avec l’opposition et l’église.
    • Le syndicat Solidarité est légalisé, des élections semi-libres sont organisées, les libertés civiles élargies, et des réformes économiques sont entamées.
    • Solidarité est admis en tant que parti politique et gagne la majorité en juin 1989, un nouveau gouvernement multi-parti est formé en août 1989, et le système politique communiste aboli.
  • En Hongrie, l’opposition la mieux tolérée par les communistes en Europe de l’Est, forma en 1987 le Forum démocratique hongrois pour revendiquer plus de pluralisme, plus de dialogue entre société et état. Nouveau gouvernement formé sous Miklos Nemeth en 1989 permet
    • la transition vers la démocratie (table ronde avec l’opposition à partir de juin 1989),
    • la liberté de voyager (printemps 1989) et
    • des élections libres (fin 1989 pour présidence et début 1990 pour parlement).
  • En Allemagne de l’Est, l’instauration en Hongrie du droit de voyager (à l’Ouest) attire les masses qui veulent quitter la RDA. Des milliers s’enfuient en passant par la frontière hungaro- autrichienne en été 1989. Lorsque le gouvernement de Berlin-Est ne permet plus de voyages en Hongrie, les citoyens se réfugient dans les ambassades Ouest-allemand à Prague et à Varsovie , refusant de retourner chez eux. Le gouvernement Est-allemand permet finalement leur émigration à l’Ouest. Des gouvernements transitoires se succèdent depuis Octobre 1989, sous pression populaire le gouvernement ouvre le mur de Berlin et permet la liberté de voyage avant d’organiser des élections libres suite à l’effondrement financier et de son autorité.
  • En Tchécoslovaquie, la révocation de la doctrine Brejnev par Gorbatchev (1988) donne de l’espoir. Charte 77, l’église et la jeunesse organisent des manifestations de plus en plus large en faveur des droits de l’homme. La répression violente d’une manifestation lors de la clôture de la CSCE de Vienne (janvier 1989) accélère la perte de légitimité du gouvernement, qui est contrainte de libérer Vaclav Havel du prison. Suite à la transformation en Pologne, le gouvernement tchécoslovaque perd le contrôle et passe le pouvoir lors des élections libres.

Conclusion

  • L’impact des ONG n’est pas mesurable en termes absolus, mais qualitativement le soutien des ONG comme AI et le réseau Helsinki Watch a eu d’importance pour les dissidents et activistes en matière des droits de l’homme en Europe de l’Est. Sans les ONG, leur emprisonnement aurait pu passer inaperçu, ou aurait pu être oublié rapidement. Sans les ONG occidentaux, les églises à l’Est n’aurait peut-être pas osé de prendre position si résolument à l’encontre des régimes communistes.
  • Condamnation régulière par la presse internationale des violations des droits de l’homme commises par les communistes a contribué à détruire la légitimité du communisme, y compris dans les yeux d’une partie des dirigeants communistes eux-mêmes, qui se sentaient constamment accusés.
  • Rôle des ONG est d’autant plus remarquable que ni la stratégie américaine d’endiguement, ni la stratégie déclarée d’un roll-back, ni la théorie ouest-allemande de l’aimant ont su transformer le communisme. L’engagement accompagné d’un dialogue difficile, mais soutenu, avec la société communiste et les gouvernements, a fait la différence pour transformer les sociétés de l’Europe de l’Est.
  • Avec la fin du communisme, les prisonniers politiques étaient libérés dans tous les pays est-européens.
  • Les nouveaux gouvernements démocratiques adoptaient un après l’autre la Convention européenne des droits de l’homme, acceptant ainsi à la jurisprudence supranationale de la Cour européenne des droits de l’homme.
  • Monitrices des droits humains, transmetteurs d’informations et médiateurs entre gouvernements et sociétés occidentaux d’une part et gouvernements et sociétés est-européennes d’autre part, les ONG avaient contribué au chapitre le plus important de l’histoire récente d’Europe contemporaine.

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