Séance 4-La race

Qu’est ce que la race ? Quelle connaissance scientifique pouvons-nous en construire ?

Introduction

Le réalisme naïf

Le monde est constitué d’un ensemble d’objets indépendants de l’esprit. Il n’existe qu’une seule description vraie de comment est fait le monde.

Selon le réalisme l’espèce humaine est différenciée en races indépendamment de l’esprit - qu’il s’agit de reconnaître. Il n’existe qu’une seule description vraie de l’espèce humaine. Cette position est contestée même au sein du réalisme.

Constructivisme épistémologique

La connaissance scientifique se construit à l’aide d’un ensemble d’entités et de faits relatifs au réel supposé qui permet de rendre compte des états du monde et de sa transformation.

Les races humaines sont des catégories de la connaissance scientifique spécifiées selon des conventions relatives à des critères et des indicateurs (anatomiques, génétiques, etc.).

Constructivisme social

Le monde social est construit par les idées que les individus et les groupes se font d’eux-mêmes et de leurs actions.

Le monde social convient qu’il existe des races humaines et organise la société en conséquence.

Les ontologies scientifiques et la notion de race

Selon Buffon : il n’existe réellement dans la nature que des individus, et (que) les genres, les ordres, les classes n’existent que dans notre imagination.

Sur les Nains de Madagascar

Les habitants des côtes orientales de l’Afrique & de l’île de Madagascar, quoique plus ou moins noirs, ne sont pas nègres, et il y a dans les parties montagneuses de cette grande île, comme dans l’intérieur de l’Afrique des hommes blancs. On a même nouvellement débité qu’il se trouvoit dans le centre de l’île, dont les terres sont les plus élevées, un peuple de Nains blancs ; (…) j’ai trouvé dans les papiers de feu M. Commerson, la relation suivante:…

Philibert Commerson était un explorateur et naturaliste du XVIIIe siècle, accompagnateur de Bougainvilliers dans son voyage autour du monde (1767-68), célèbre notamment pour avoir battu en brèche le mythe des géants patagons. Les Amateurs du merveilleux qui nous auront sans doute su mauvais gré d’avoir réduit à six pieds de haut la taille prétendue gigantesque des Patagons, accepteront peut-être en dédommagement une race de pigmées qui donne dans l’excès opposé, je veux parler de ces demi-hommes qui habitent les hautes montagnes de l’intérieur dans la grande île de Madagascar, & qui forment un corps de nation considérable appelée Quimos ou Kimos en Lingue Madecasse. Otez-leur la parole ou donnez-là aux singes grands & petits, ce seroit le passage insensible de l’espèce humaine à la gent quadrupède…

Le caractère naturel & distinctif de ces petits hommes est d’être blancs ou plus ou moins pâles en couleur que tous les noirs connus (…). Quant aux facultés intellectuelles, ces Quimos le disputent aux autres Malgaches (…) que l’on sait être fort spirituels & fort adroits, quoique livrés à la plus grande paresse.

Mais on assure que les Quimos, beaucoup plus actifs, sont aussi plus belliqueux ; de façon que leur courage, étant, si je puis m’exprimer ainsi, en raison double de leur taille, ils n’ont jamais pu être opprimés par leurs voisins. (…) Ils se font toujours battus courageusement & maintenus libres dans leurs rochers ; leur difficile accès contribuant sans doute beaucoup à leur conservation (…)

En revenant à Buffon: Tout considéré, je conclus (…) que la diminution de notre taille à celle du Lappon est à peu-près graduée comme du Lappon au Quimos… Que l’un & l’autre habitent les zones les plus froides ou les montagnes les plus élevées de la terre (…) Les végétaux qui croissent naturellement sur ces plus grandes hauteurs, ne semblent être que des avortons, comme le pin & le bouleau nains & tant d’autres, qui de la classe des arbres passent à celle des plus humbles arbustes par la seule raison qu’ils sont devenus alpicoles, c’est-à-dire habitans des plus hautes montagnes…

Il cherche des lois couplant la température et la taille des êtres.

Un raisonnement naturaliste

• Unité fondamentale de l’espèce humaine.
• Originaire des hauts plateaux de Tartarie (Asie centrale).
  • Faux. Peut-être un héritage non voulu de la bible, qui affirme que l’homme vient de l’altitude au delà du monde connu.
• Blanc de peau à l’origine.
  • Faux. Un peu faute de l’imaginaire.
• Diffusion et acclimatation = taux de mélanine augmente avec la chaleur moyenne.
• Dans les climats plus favorables la taille des humains a augmenté.
• Montagnes = régions froides où la morphologie des êtres humains est restée la plus proche des origines (peau blanche et nanisme).
• Ce raisonnement comporte plusieurs erreurs.

Du racisme scientifique (racialisme) au racisme ordinaire

• Le projet: Classification des êtres humains à partir de leurs différences anatomiques et leur caractère transmissible (modèle de la zoologie).
• Un raisonnement sous l’influence de Darwin. L’exemple de Carl Vogt, Leçon sur l’Homme (1865):
  • La plupart des caractères que l’on peut reconnaître (chez les noirs), déjà dans la conformation extérieure, ainsi que dans les proportions des diverses parties du corps, rappellent irrésistiblement les singes.
  • Le Noir adulte, en ce qui concerne ses capacités intellectuelles, ressemble à l’enfant, à la femme et au Blanc sénile.

Théories du racisme moderne

• Une doctrine, une idéologie: la différence raciale comme facteur de supériorité et justification des inégalités et rapports de pouvoir. Arthur de Gobineau, 1853-55, Essai sur l’inégalité des races humaines*.
• = Rhétorique coloniale

La disqualification savante du racisme scientifique

La remise en cause des connaissances scientifiques au XXe siècle:

• Il n’y a jamais que des continuums anatomiques et génétiques.
• La diversité génétique est beaucoup plus importante entre les individus d’une même population qu’entre groupes différents. = Invalidation de la notion de race au vu des progrès de la génétique
• Importance croissante donnée aux ethnies et aux cultures.

Faut-il pour autant renoncer à faire un usage scientifique de la race?

Le point de vue du constructivisme social.

Les races humaines sont des catégories instituées par les sociétés pour se penser elles-mêmes dans des rapports d’identité-altérité.

• Différenciation raciale existe dans les représentations sociales = la racialisation sociale.
• Source de stigmatisation.
• Source de revendication: identity politics – mouvement pour les droits civiques (années 1960), black lives matter!

l’inexistence biologique des races ne conduit pas à nier leur réalité socio-politique… bien que socialement construite, la domination de race n’en demeure pas moins réelle (À quoi sert le concept de race ? Alain Policar, AOC 2021).

Méthode objectiviste versus subjectiviste.

La modernité réflexive (Giddens): la race pour lutter contre les inégalités selon William E.B. Du Bois

• 1er Africain-américain à obtenir un doctorat (philosophie) à Harvard (1895).
• 1897: professeur d’histoire et d’économie à l’université d’Atlanta.
• 1899: The Philadelphia Negro.
• Un des fondateurs de la National Association for the Advancement of Colored People (NAACP) en 1909: assurer l’égalité des droits politique, éducative, sociale et économique de tous les citoyens et éliminer la haine raciale et la discrimination raciale.
• race en soi – race pour soi

Lettre d’Albert Einstein adressée à William E.B. Du Bois le 29 octobre 1931

Cela semble un fait universel que les minorités, en particulier les minorités qui sont reconnaissables à cause de leurs différences physiques, sont traitées par les majorités comme des classes inférieures. Mais le plus tragique, cependant, ce ne sont pas les désavantages économiques et sociaux que subissent automatiquement les minorités, mais le fait qu’elles intériorisent les préjugés de la majorité, et qu’elles finissent par se considérer elles-mêmes comme inférieures. On peut lutter contre ce mal terrible par l’union et l’éducation des consciences au sein des minorités, qui leur permet d’aller vers l’émancipation. L’effort résolu des Noirs américains dans ce sens mérite toute notre reconnaissance et toute notre aide.

La race, entre science et politique

• Du racialisme au racisme.
• Ian Hacking et la fabrication des gens : De nombreuses sortes d’êtres et d’actes humains font leur apparition dans le mouvement même où s’inventent les catégories par lesquelles on les désigne.
• Quel statut donner à la race dans les politiques publiques ? Au nom de quelles connaissances scientifiques?
• Illustration avec les enjeux de la statistique d’Etat et…. quelques controverses récentes.

La race dans les politiques publiques

Statistiques ethniques aux États-Unis

• De 1790 à 1850: blancs versus noirs (libres ou esclaves).
• 1850-1890 : introduction progressive des catégories mulâtres, Chinois, Japonais, Amérindiens, etc.
• Attribution de la race:
  • Jusque dans années 1950: agent recenseur.
  • Années 1960-80: mélange d’observation et d’auto-identification.
  • A partir des années : auto-identification seule.

Les données à caractères personnel en France

• La France et le projet de nation depuis la Révolution Française.
• 1872: dernier recensement religieux.
• Constitution de 1958, art.1: la France assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion.
• 1978. Loi Informatique et Libertés : Il est interdit de traiter des données à caractère personnel qui révèlent la prétendue origine raciale ou l’origine ethnique, les opinions politiques, les convictions religieuses ou philosophiques ou l’appartenance syndicale d’une personne physique ou de traiter des données génétiques, des données biométriques aux fins d’identifier une personne physique de manière unique, des données concernant la santé ou des données concernant la vie sexuelle ou l’orientation sexuelle d’une personne physique.
• Statistiques sur les migrations et les nationalités: Etat civil, recensement général de la population.
• Possible de collecter des informations sur le ressenti d’appartenance.
• Enquête Trajectoires et origines (TeO), menée par l’INED et l’INSEE en 2008-2009 (22 000 personnes interrogées), intègre à son questionnaire des questions sur le genre, la couleur de peau et le ressenti d’appartenance (En pensant à votre histoire familiale, de quelle origine vous sentez-vous ?).
• Comprendra-t-on encore [dans dix ans] que l’on ait pu soupçonner certaines de ses questions sur les origines ou les apparences de vouloir “saper les fondements de la République”, alors qu’elles visaient modestement à saisir au plus près le mécanisme des discriminations qui mine le principe d’égalité ?(François Héran, INED).
• Un débat éminemment politique aujourd’hui. Cf article de F. Héran dans Le Monde.

La race pour identifier les inégalités

Initiatives associatives: l’exemple du CRAN, 2005

Colloque à l’EHESS, 2005: Les Noirs en France: anatomie d’un groupe invisible.

Enquêtes statistiques soulignant le manque de diversité de la société française :

• Parité et Diversité au sein du CAC 40 ; Parité et Diversité au sein de la Haute fonction publique Louis-George Tin, 2008, «Who is Afraid of Blacks in France? The Black Question, The Name Taboo, the Number Taboo». French Politics, Culture & Society, 26, 1.

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