L’action humanitaire dans l’après-guerre
Introduction
- Action humanitaire depuis 1945→ pacifique et en guerre. Possibilités de structuration du temps :
Types de l’action humanitaire en guerre
- Phase traditionnelle dominée par CICR (1945-1970).
- Entrée en scène du sans-frontierisme (MSF, 1971ss.) et de l’humanitarisme révolutionnaire.
- 1990 renforcement du rôle du CICR par son accréditation singulière auprès de l’AG de l’ONU.
Pour l’action humanitaire en guerre : distinguer selon les types de conflit
- Après-DGM: ca. 1945-1949.
- Guerres de décolonisation: 1949-1973 (Indonésie à l’Empire portugais).
- Guerres par procuration, proxy wars (années 1960 – 1988, dans la Guerre froide globale).
- Depuis 1990: guerres asymétriques et guerres civiles liées à l’effondrement d’un Etat.
- Depuis 2008: Guerres cachées (URSS contre la Géorgie, Azerbaïdjan, Ukraine 2014 – février 2022).
Ici : survol sur l’action humanitaire en guerre→évolutions et dilemmes.
La situation humanitaire suite au deuxième conflit mondial
- Catastrophe humanitaire laissé par la DGM : Les défis→
- libération des camps 30 mio.
- Réfugiés et personnes déplacés (par la guerre) 20 mio.
- Temporairement sans abri.
- Famine, épidémies.
- Rapatriement des prisonniers de guerre, des travailleurs forcés et d’autres personnes déplacés.
- Naissance de l’ONU et de ses organisations spécialisées.
- UNRRA (1943-1947) – plus grand effort de secours jusque-là.
- UNICEF décembre 1946 – agit pour protéger les enfants dans les zones détruites par la guerre, ensuite dans le monde entier – financé au début largement par des dons privés américains, pas financé par l’ONU.
- WHO, FAO, IRO, UNRWA (pour des réfugiés palestiniens et les réfugiés et personnes déplacées en Europe).
- A partir de 1946 : changement du contexte politique de l’action humanitaire.
- Conflit idéologique planétaire (communisme vs. capitalisme), division de l’Europe.
- Aide humanitaire comme instrument politique (Etats-Unis, plan Marshall, 1947 1951).
- Des ONG américaines se tournent graduellement vers l’Asie, l’Inde en particulier, le Moyen Orient et Afrique, mondialisation de l’action humanitaire avec les guerres de décolonisation.
Renouveau organisationnel de l’action humanitaire
Acteurs traditionnels et leurs actions pour le soulagement des souffrances suite au conflit mondial
- Croix Rouge suédoise – Comte Bernadotte : Allemagne, Europe de l’Est, Russie.
- Save the Children/UISE de plus en plus concurrencée par UNICEF.
- Croix Rouge américaine – agissait prioritairement pour les soldats américains.
- CICR – actions en faveur des personnes souhaitant émigrer de l’Europe (par ex. Juifs vers Palestine).
Multiplication des nouvelles ONG « humanitaires » suite à la DGM
- 1942 OXFAM né en GB.
- CARE (1945, Cooperative for American Remittances for Europe/later: for Everywhere, deuxième plus grand fournisseur d’aide à l’étranger, non-religieux ) – a repris les travaux d’UNRRA à partir de 1947, l’autre part ayant été repris par Intl Refugee Organisation (1948) et par l’UNICEF.
Trois grandes organisations de l’église:
- Lutheran World Relief (1945);
- Catholic Relief Services (CARITAS) – le plus grand fournisseur «privé» d’aide à l’étranger de 1946 à 1955.
- Church World Service – composé de 17 groupes protestants aux Etats-Unis (1946), a fourni 80% des colis transmis en Europe et en Asie par les USA.
- CROP (1947) – organisation d’entr’aide agricole aux Etats-Unis.
- American Society of Friends (Quaker), actif par ex. en Palestine (réfugiés palestiniens).
Multiplication des ONG humanitaires suite à la DGM (cont.)
- World Vision (1950), aujourd’hui le plus grand fournisseur d’aide international.
- Années 1950 : Brot für die Welt, Welthungerhilfe, Caritas allemand (fondations provoquées notamment par la famine en Inde).
- Sociétés similaires en France, Italie, Pays-Bas, Belgique.
Articles typiquement délivrés :
- Denrées alimentaires, eau.
- Vêtements.
- Tentes.
- Antibiotiques et d’autres médicaments.
- Matériel pour construire des puits, purifier l’eau.
- Perspective: Une partie des ONG à l’origine humanitaire (= aide d’urgence) se réoriente à partir des années 1950 vers le développement (= aide à long terme, aide à l’autosuffisance).
- Exceptions : CICR, Médecins sans frontières (France, 1971), Médecins du monde (France, début années 1980).
- L’action humanitaire en guerre: Le CICR et les quatre Conventions de Genève de 1949
- Convention de Genève de 1864, remaniée en 1906 à Genève, protection des soldats malades et blessés lors de la guerre terrestre > GE I.
- Convention III de La Haye de 1899, remaniée sous le nom de Convention X de la Haye de 1907 (=adaptation à la guerre maritime des principes de la Conv. de Genève de 1864/1906), vise la protection des naufragés, blessés et malades dans la guerre maritime > GE II.
- Conv. de Genève de 1929, protection des prisonniers de guerre Pdg : > GE III.
- Projet de Tokyo de 1934/protection des civiles > GE IV.
- Innovations :
- CICR devient organisation internationale humanitaire avec statut juridique particulier.
- Protection de la population civile; droit de visite des camps des internés civils pour CICR et Etat-protecteur.
- Même dans les guerres civiles Conventions de Genève doivent être respectés (Protocole additionnel de 1977).
- Changement majeur dans le développement du droit humanitaire de la guerre.
- Nouvelle Convention pour la protection des réfugiés, 1951, portée : l’Europe, à partir des années 1960 elle s’applique au niveau mondial.
- Le champ humanitaire s’élargit pour comprendre notamment l’aide humanitaire lors des catastrophes naturelles (sociétés nationales de la CR s’y investissent) ; mais il manque encore une étude synthétique solide.
- Aide lors de la famine indienne (années 1950).
Essor et limites de l’action humanitaire en guerre
L’action humanitaire pendant la guerre froide et les guerres de décolonisation
- Cadre général: ONU exerce un rôle politique surtout, tandis que CICR et d’autres ONG offrent des services humanitaires. Exception: domaine des réfugiés, où l’ONU est active dès le départ (IRO, UNRWA, puis HCR), puis aide alimentaire d’urgence (PAM, depuis 1964).
- Question : Crises définissant les rapports entre CICR et OI.
- Guerre civile/d’indépendance en Palestine 1948-1949, fondation de l’Etat d’Israël: un million de refugiés.
- Action des ONG importante car ONU prend parti dans le conflit (résolution concernant le partage de la Palestine), ONG neutres et impartiales.
- CICR, Ligue des sociétés de la CR, American Society of Friends (Quakers).
- À cause du non-retour des réfugiés palestiniens en Israël, CICR initie la création d’UNRWA.
- Guerre de Corée 1950-53: ONU parti de la guerre, ne peut pas offrir de secours humanitaires; Corée du Nord ne permet pas l’ingérence du CICR, donc pas de réciprocité, Convention III (pdg) pas respectée!
- Répression en Hongrie 1956, AG de l’ONU condamne répression militaire de l’URSS, seul CICR entretient une délégation à Budapest, depuis Octobre 1956, capable d’offrir de l’aide humanitaire pendant la crise, 200.000 personnes déplacées et réfugiés; Etats-membres de l’ONU qui veulent offrir de l’aide doivent passer par le CICR.
- Crise de Cuba 1962: ONU demande CICR de composer des équipes neutres pour contrôler les bateaux voulant passer le blocus américain, démontre statut spécial du CICR.
Le problème de la protection des civils : Convention IV appliquée ?
- Crise de Suez 1956: Convention IV reconnue par les parties du différend (Israël, Égypte).
- Convention IV respectée aussi pendant la guerre Indo-portugais en 1961.
- Israël, Égypte et Syrie lors de la Guerre du Moyen Orient en 1967: États appliquent la Conv. IV sélectivement (Israël argumente que les territoire n’étaient pas occupés (lorsque de facto oui) et donc pas applicable).
- Dilemme fondamental du droit humanitaire persiste :
- Neutralité humanitaire? > respect des belligérants?
Problème particulier des conflits armés internes :
- Application du droit humanitaire pas réglée en détail dans les conventions de 1949.
- Congo 1960-1963 : implication du CICR et de la Fédération sous protection des casques bleus de l’ONU, surtout construction du service médical public du pays (donc pas d’action traditionnelle en faveur des prisonniers de guerre), mais collaborateurs du CICR tués.
- Guerre de Biafra 1967-1969 (Guerre civile au Nigéria et de sécession) : décolonisation du Nigéria sous contrôle britannique mène à l’établissement d’une fédération multi-ethnique nigériane, les frontières de l’ancienne colonie britannique sont maintenues, des.
Étude de cas: Guerre de Biafra 1967-1969 (Guerre civile au Nigéria et de sécession) :
- Général Gowon - gouvt. fédéral nigérian :
- Le gouvernement de Nigéria, au pouvoir depuis un coup d’Etat de juillet 1966, ne s’est comporté pas conformément aux conventions de Genève et a été coupable des crimes contre l’humanité, puisque il a commis ou tolérés des massacres qui ont mené à la politique sécessionniste de Biafra.
- Impose blocus (alimentaire et médicale) contre le peuple Ibo au Biafra, famine explose touchant > 1 mio. de Biafrais.
- Le blocus a conduit à la famine généralisée de la population biafraise, mais le gouvernement biafrais n’est pas innocent dans l’affaire (désaccord sur le mode de livraisons de l’aide humanitaire: par avion, sans contrôle – ou par voie terrestre, sous contrôle du gouvernement nigérian).
- Ojukwu, gouvt. Biafra :
- Réclame l’indépendance (27 mai 1967) après des massacres commis contre les Ibos.
- Biafra détient de ressources pétrolières importantes, élite veut s’en emparer.
- Menant une guerre d’information médiatique (photos d’enfants malade de kwashiorkor (maladie dû au manque de protéines), Ojukwu abuse la catastrophe humanitaire pour des fins politiques (il accuse Nigéria de commettre un génocide pour discréditer le gouvernement et obtenir l’indépendance).
- Problématique de l’Art. 23 CG IV: CICR nécessite consentement du gouvernement pour aider les Biafrais, par exemple en établissant un pont aérien sur l’espace aérien nigérian en faveur des Biafrais; en l’absence d’aval se pose la question d’aider sans le consentement du gouvernement.
- Première phase de la guerre→1967-août 1968 :
- CICR ne réussit pas à obtenir consentement du gouvernement nigérian pour l’acheminement des secours par voie aérienne, ni le consentement du gouvernement biafrais pour l’acheminement par voie terrestre (sous contrôle du gouvernement nigérian).
- CICR est dépassé par l’action humanitaire d’autres organismes (Caritas, Conseil œcuménique des églises, diverses organisations religieuses actives au Biafra, par ex. irlandaises, la Ligue et diverses organisations nationales de la CR, par ex. suédoises et allemandes, UNICEF), qui s’avèrent plus efficaces à acheminer des secours par des ponts aériens illégaux, car ils refusent de se soumettre aux exigences du gouvernement nigérian.
- CICR n’arrive qu’à acheminer 200 t de denrées alimentaires entre novembre 1967 et juillet 1968, alors que les besoins sont évalués à 200 t par jour (début juin 1968), CICR risque de perdre son statut d’acteur humanitaire privilégié en temps de guerre, sa survie comme organisation en danger.
- Deuxième phase (août/sept. 1968 – sept 1969) :
- Gouvernement suisse délègue August Lindt, Ambassadeur suisse à Moscou et précédemment directeur du CICR, à Lagos pour mener à bien les négociations au nom du CICR.
- Septembre 1968 CICR établit un pont aérien illégal mais toléré par le gouvt. nigérian et achemine 20.000 t de denrées alimentaires et médicaments au cours d’une année, correspondant aux besoins pour 100 jours des Biafrais.
- CICR termine son action lorsqu’un de ses avions est abattu par des forces armées, pilote †, sept. 1969.
- Leçons tirés de l’échec :
- CICR revendique codification pour que les conventions de Genève soient mieux respectées pendant les guerres civiles ou de sécession→Protocole additionnel de 1977.
Naissance de Médecins sans frontières (1971)
Césure symbolique importante dans l’histoire de l’humanitaire
- Contexte générale : naissance du Tiers-mondisme de la gauche, chrétien et anticolonialiste, rôle de 1968.
- Contexte spéciale : Guerre de Biafra (voir slides antérieurs).
- Naissance de MSF = innovation comme Amnesty International pour les droits de l’homme en 1962, sans-frontièrisme.
- MSF s’entend comme acteur humanitaire révolutionnaire, militant, refusant à se soumettre aux conventions interétatiques de Genève, à la sacro-sainte souveraineté étatique.
- Doctrine n’est pas clairement établie, mais évolue dans le cadre des guerres civiles sans règles.
- Éthique médicale remplace l’éthique de la diplomatie humanitaire – selon le sermon d’Hippocrate (400 av. J.-C.) le médecin a un devoir d’aider (à l’origine) – interprété de plus en plus comme droit et devoir d’ingérence (années 80, Bernard Kouchner et Mario Bettati).
- Si l’urgence le commande, il faut, selon les fondateurs de MSF, agir sans l’aval des ou du gouvernement(s) concerné(s).
- Lors de la Guerre de Biafra, CICR engagent beaucoup des docteurs français par l’intermédiaire de la CRF, qui s’intéressent au sort du Biafra à cause des médias français ; sont engagés les futurs fondateurs des MSF : Bernard Kouchner; Max Récamier.
- Ils prennent position au public, donnent des interviews en tant que médecins du CICR (dans Le Monde).
- French doctors fortement en faveur de Biafra, à cause de leur mission au Biafra et de leur sympathie pour les enfants souffrants ; ils ne reconnaissent pas que Ojukwu instrumentalise la détresse de son peuple, donc la catastrophe humanitaire, pour obtenir l’indépendance et le contrôle du pétrole.
- Ils reconnaissent cependant que, pendant des mois, le CICR était incapable à acheminer des secours.
- Selon le mythe fondateur de MSF (voir Charité Business par Kouchner), ils se sont opposés à la politique de discrétion du CICR par rapport au génocide.
- Mais est-ce que le CICR les force à la discrétion ?
- Est-ce que le CICR se tait face aux actes commis par les deux belligérants ?
- Réponse : CICR n’intervient pas pour interdire les interviews et critique également l’attitude des belligérants, donc il se comporte comme les French doctors - mais il a trop longtemps échoué.
- Mythe fondateur de MSF – rébellion des French doctors contre les pratiques du CICR – ne tient pas face aux sources.
- Il est plus correct de dire que les docteurs français avaient envie de créer leur propre organisation humanitaire au lieu de laisser toute la place au CICR; Biafra a démontré qu’il y avait de la place pour d’autres acteurs et que le CICR a négligé sa mission humanitaire pour se conformer au droit humanitaire.
- Multiplication des interventions de MSF dans des guerres à partir du milieu des années 1970.
- Les expériences du MSF conduisent à une appréciation plus réaliste de la marge de manœuvre des acteurs humanitaires. Tout en revendiquant droit d’ingérence, MSF reconnaît le rôle du droit humanitaire traditionnel.
Dilemmes de l’action humanitaire contemporaine
Problématiques générales de l’action humanitaire dans des guerres après 1975
- Nourrir les victimes ou nourrir la guerre ? Rapport entre économie de la guerre et aide humanitaire.
- Priorité à l’aide aux victimes civils ou aux soldats blessés et pdg ? Abus des camps de réfugiés comme refuge pour les guerriers qui s’y approvisionnent avant de retourner au front.
- Comment assurer que l’aide n’est pas détourné dans des guerres civiles?
- Neutralité ou position contre l’agresseur?
Cas qu’on peut soulever
- Cambodge, 1973-1982 – régime de Pol Pot; pays fermé; 1979/1980-1991: Action humanitaire conjointe du CICR et de l’UNICEF au Cambodge (Kampuchéa) suite à l’expulsion partielle des Khmers rouges par les forces d’intervention vietnamiennes : plus grande action humanitaire depuis la DGM (famine, services médicaux, écoles, aide au développement, 250.000 t de marchandises), CICR entre dans une nouvelle catégorie; obtient statut d’observateur permanent auprès de l’AG des Nations Unies, unique statut.
- Vietnam – le drame des Boat-People – naissance des Médecins du Monde (Kouchner).
- Guerre d’Angola, 1974-1990 : de nombreux belligérants, plusieurs fronts → mission impossible.
- Guerre d’Ethiopie, 1976-79 (dates indicatives), nettoyage ethnique, et famine au Sahel, aggravée par dictature de Mengistu: l’humanitaire devient populaire.
- initiative Live Aid - Bob Geldorf – chanson We are the World.
- Dénonçant les pratiques de nettoyage ethnique du gouvernement de Mengistu, MSF obligé de se retirer de d’Ethiopie.
- Guerre d’Afghanistan 1979-1989 - intervention soviétique, pays derrière le rideau de fer.
Conclusion
- Eléments clés :
- Multiplication des acteurs humanitaires suite à la DGM, la plupart se lance cependant plutôt dans l’aide au développement que dans l’aide d’urgence.
- Multiplication des acteurs humanitaires implique la concurrence humanitaire (HCR, CICR, MSF etc.).
- Multiplication des guerres pendant la Guerre froide (guerres à procuration) depuis 1973-5 (URSS!).
- Multiplication des guerres anarchiques, de guerres de prédation suite à la décolonisation.
- Augmentation des victimes civiles.
- Accompagnées de famines, épurations ethniques.
- Des casques bleus et des humanitaires soumis à la violence.
- En total à la fin des années 1990 : 16 mio. réfugiés sous l’égide du UNHCR.
- 2007 plus qu’une trentaine de million de refugiés, 2019 cinquante millions (estimations, presse).
- Conclusion :
- L’aide humanitaire en guerre n’a pas perdu sa raison d’être, mais problèmes de politisation et d’abus se posent d’une manière brulante.
- Le lien entre économie de guerre et neutralité humanitaire pose problème de l’attitude face à l’agresseur, si on peut en discerner un.
- L’action humanitaire se nuance : guerre (devoir d’ingérence) ou urgence civile (catastrophe naturelle).